La primatologue française Sabrina Krief suit une communauté de chimpanzés en Ouganda depuis plus de dix ans. La vétérinaire de formation consacre sa vie de scientifique à l’une des six espèces de grands singes. Elle est soutenue dans son combat par son mari, le photographe Jean-Michel Krief, avec qui elle a publié Les chimpanzés des Monts de la Lune (coédition Belin et Muséum national d’histoire naturelle). Il leur aura fallu une décennie pour pouvoir approcher ces primates d’aussi près afin de les étudier et leur tirer le portrait.
Derrière la beauté des images, au cœur de la forêt tropicale, se révèlent pourtant des visages inquiétants : « Aragon est un des chimpanzés qui a une malformation faciale, constate cette titulaire d’un doctorat en écologie et chimie des substances naturelles. Son voisin a aussi le nez aplati et enfoncé. » Aujourd’hui, plus d’un chimpanzé sur trois présente ces malformations dès la naissance. Un constat troublant qui pousse Sabrina Krief à mener son enquête, alors que l’agriculture intensive du thé ou du maïs détruit l’habitat de ses protégés et perturbe leurs habitudes.
99% de gènes communs avec l’homme
Ce jour-là, la co-fondatrice avec son mari du Projet pour la conservation des grands singes (PCGS) va en avoir la preuve. Les paysans en lisière de forêt ont ainsi découvert que leurs champs de maïs avaient reçu la visite des chimpanzés. Elle découvre les reliefs de leur repas : « Il y a au moins huit épis là. C’est bien frais. On voit qu’ils ont bien été mangés. » Si les primates se nourrissent des fruits de la forêt, ils ont aujourd’hui pris goût à ce maïs à portée de main. La chercheuse pense que les malformations des chimpanzés sont liées à ce changement de régime alimentaire.
Sabrina Grief demande à l’agriculteur quel type de maïs il utilise : conventionnel, vert ou rouge ? Il plante du rouge car « il pousse mieux que le normal », lui répond-il. La récolte est meilleure. « Le maïs rouge est enrobé directement d’insecticides, explique-t-elle. C’est de l’imidaclopride qui est un néonicotinoïde. Un produit connu en France pour tuer les abeilles. Les chimpanzés mangent les épis mais aussi parfois les tiges. Cela peut nuire potentiellement à la santé des animaux. » La primatologue suspecte la pollution chimique d’être à l’origine des malformations et s’inquiète également pour la santé des villageois : le chimpanzé partage en effet 99% de ses gènes avec l’homme.
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