Le making-of du dossier : Vis ma vie de chien
Dès 1982, grâce au professeur Pierre Desproges, on savait qu’il y avait “plus d’humanité dans l’œil d’un chien quand il remue la queue que dans la queue de Le Pen quand il remue son œil”. C’était déjà très instructif. Mais, en 36 ans, la science a encore progressé. Elle a démontré que les animaux sont plus proches de notre sensibilité qu’on veut bien le voir. C’est que, pour notre sérénité psychologique, plus un animal est exploité par l’homme (pour sa viande, sa peau, sa force), moins on lui prête d’intelligence et de qualités.
Les animaux de la ferme ont pourtant une conscience suffisamment développée pour réglementer avec plus de respect le sort et les conditions qu’on leur réserve. Quant à nos animaux domestiques, leur capacité intellectuelle équivaut à celle d’un enfant de trois, quatre ans. Ce n’est déjà pas si mal, mais ils continuent à apprendre à notre contact. Il est peut-être temps pour nous de retenir quelque chose de leur intelligence naturelle: leur vie dans un éternel présent, sans rancune ni remords, sans autre manque que ceux liés aux besoins vitaux, mais une vie d’empathie, de fidélité et de solidarité… On dirait une recommandation pour accompagner la méditation de pleine conscience. Si je suis le dieu de mon chien, il sera mon maître à penser, mon gourou. Jean-Luc Cambier, rédacteur en chef
Ce que la science nous apprend sur l’intelligence animale
Les chiens courent après leur queue. Les chats se cassent la gueule en sautant entre la table à manger et le buffet. De nombreux chevaux refusent d’entrer dans leur box s’il y fait trop sombre. Quant aux rongeurs, ils passent leur temps à courir sur place. Faut-il en déduire que nos animaux domestiques sont… stupides? Non. Nos bêtes à poil ou à plume auraient une intelligence bien plus fine que celle qu’on leur prête.
On le sait depuis qu’en 1977, un chercheur de Harvard a tenté d’apprendre l’anglais à un perroquet gris afin qu’il puisse expliquer sa vision du monde, ses émotions et ses pensées. L’objectif recherché n’a évidemment pas été atteint. Le scientifique a tout de même découvert que l’oiseau pouvait non seulement apprendre des mots, mais aussi les comprendre et réussir à les mettre dans un ordre grammatical acceptable. À partir de là, d’autres expériences prouvent que dans certaines situations, diverses espèces s’avèrent plus perspicaces que nous, les êtres humains. Les études montrent également que les animaux de compagnie, comme les bêtes d’élevage et sauvages, peuvent faire preuve d’une grande sensibilité et éprouver des émotions bien plus intenses que les nôtres. Cependant, leurs conditions d’existence ne leur permettent pas toujours de les exprimer.
La domestication n’est pas forcément regrettable pour autant, même si l’industrialisation de la société a engendré son lot de dérives, notamment des chiens atteints de maladies génétiques qui les empêchent, c’est le cas des bouledogues, de respirer convenablement. “Il existe une sorte de contrat domestique tacite, intervient Marc Vandenheede, professeur d’éthologie vétérinaire à l’ULG et vice-président du Conseil wallon du bien-être animal. L’animal nous donne des choses, des œufs pour une poule ou de la tendresse pour un chat, et en échange son maître lui offre le gîte et le couvert. Il ne doit plus travailler pour manger, ni lutter contre les prédateurs.”
« Les chiens se prennent pour des humains »
Grâce à nous, les animaux développent par ailleurs des compétences particulières. Les chiens, apparus dans les foyers il y a 15.000 ans, en sont le plus vieil exemple. “Ils se prennent pour des humains, continue Marc Vandenheede. Des expériences scientifiques ont démontré que lorsqu’on pointe un objet du doigt, le chien sait qu’il ne doit pas regarder le doigt, mais l’objet. Autre exemple: pour communiquer, on se regarde dans les yeux, pas les canidés. Un loup domestiqué évitera votre regard. Le chien, le cousin du loup, cherche le contact des yeux. Il aspire à créer une intimité. Il a acquis cette volonté à force de nous côtoyer.”
L’idée selon laquelle la créativité, la mémoire et la raison seraient des caractéristiques propres à l’être humain est encore largement répandue. La science commence cependant à prouver le contraire. Ce n’est pas un hasard si le courant antispéciste, qui prône une égalité totale entre les espèces, apparaît aujourd’hui. Tout comme, de façon plus raisonnable, la nouvelle politique wallonne du bien-être animal. Voici un an, la Wallonie a voté le changement de statut des animaux dans la loi, passant de celui de “meubles” à celui d’”êtres sensibles”. Le ministre Carlo Di Antonio entend maintenant sanctionner plus fermement les maîtres maltraitants. Parmi les autres mesures, on trouve la nécessité de détenir un permis pour adopter. Il sera attribué par défaut, mais pourra être retiré. L’avant-projet prévoit en outre un durcissement de la législation sur l’expérimentation animale et l’élevage. À Bruxelles et en Flandre, bien que la violence animale soit également condamnable, force est de constater qu’on ne tient pas suffisamment compte de la sensibilité et du bien-être des animaux.
Retrouvez le dossier « Intelligence animale » dans le Moustique de cette semaine (11 avril 2017)