A quand la fin des cirques avec animaux ?

 

L’abattage au cœur de Paris d’un tigre échappé d’un cirque ambulant, le 24 novembre, a ému nombre de Français de plus en plus hostiles à la présence d’animaux dans les cirques. La toile et les réseaux sociaux se sont enflammés durant le week-end en faveur de l’abandon des cirques avec animaux.

La France et Paris, vitrines du monde, ont souvent montré l’exemple en matière de droits humains et de l’animal. Peut-on rester ainsi à la traîne en continuant d’accueillir des cirques avec animaux ?

Vendredi dernier, un tigre a été « abattu », « neutralisé », « tué », « exécuté » dans les rues de Paris par son propriétaire, Eric Bormann, le directeur du cirque Bormann Moreno, pouvait-on lire ici et là. Les mots fleurissent pour qualifier l’abattage de l’animal mais ne se ressemblent pas. Depuis, Eric Bormann a déposé plainte contre X pour acte de malveillance (la chaîne qui empêchait l’ouverture de la cage aurait été sectionnée ???).

Dès qu’un animal sauvage entre dans un cirque, il est potentiellement menacé d’être abattu s’il ne répond pas au doigt et à l’œil de son dresseur et s’il y a débordement mettant la vie d’autrui en danger. Le tigre qui a été froidement exécuté à Paris a donc été « assassiné » en bonne et due forme, car préméditation il y a : en effet, un animal sauvage qui se sauve ou se rebelle contre son dresseur est immédiatement menacé de mort. Il devient un danger pour autrui, à ce titre il faut l’« éliminer », son propriétaire étant responsable du mal qu’il peut causer.

Pourquoi, dans ces conditions, les cirques possèdent-ils encore le droit de détenir des animaux sauvages qui, potentiellement, mettent la vie d’autrui en danger ? Pourquoi ne sont-ils pas équipés pour endormir l’animal au lieu de le tuer ?

Un tigre n’est pas un chaton. Les tigres, les lions, les éléphants, les primates, sont des animaux sauvages potentiellement dangereux qui ne peuvent être « domptés » qu’à coups de fouets, de piques de dressage, d’ankus (aiguillon de fer utilisé pour les éléphants), de martinets ou de bâtons. Plus leur frustration grandit, plus ils risquent d’être dangereux.

Les vidéos qui montrent des dresseurs de cirques dépassés par les lions ou des tigres lors de « spectacles » sont légion sur la toile. Quand le dominant qui tient le fouet est dominé par le fauve, ne serait-ce qu’une seule fois, son autorité est alors définitivement bafouée, l’animal doit être abattu ou euthanasié car l’humain risque de ne plus avoir le dessus sur le félin.

Dès qu’un animal sauvage entre dans un cirque, il est donc en sursis.

Ce nouveau fait divers pose la question du maintien des animaux dans les cirques.

Les animaux que les cirques exploitent (éléphants, primates, grands félins) sont aujourd’hui des animaux en voie de disparition. Si ce n’était pas le cas au XIXe siècle, âge d’or des cirques avec animaux, c’est désormais une réalité que personne ne peut plus ignorer (voir à ce titre la récente mise à jour de la liste rouge des espèces menacées par l’Union internationale pour la conservation de la nature). Cette réalité change aujourd’hui la donne.

Voir en effet les derniers individus d’espèces menacées contraints à faire le clown sur une piste de cirque, sauter dans des cercles de feu ou être froidement abattus dans une rue de Paris est un « spectacle » choquant et pitoyable. Au lieu de ne connaître que pelouse publique, pistes de cirques bruyantes, cages et camions, ces animaux en voie de disparition devraient pouvoir bénéficier d’une vie digne de ce nom dans des espaces protégés et adaptés.

Aujourd’hui, près d’une trentaine de pays – Autriche, Belgique, Bolivie, Bulgarie, Chypre, Costa Rica, Croatie, Danemark, Estonie, Finlande, Grèce, Guatemala, Hongrie, Inde, Irlande, Israël, Italie, Lettonie, Liban, Malte, Mexique, Pays-Bas, Pérou, Portugal, Roumanie, Singapour, Slovénie, Suède – a légiféré contre la présence des animaux dans les cirques.

Ces initiatives nationales soulignent l’incapacité des textes européens à garantir l’absence de maltraitances et de souffrances psychologiques et physiques pour ces animaux ; tous ces pays dénoncent ainsi clairement que ces exercices imposés aux animaux pour notre divertissement constituent une offense pour ces grands animaux menacés.

En France, une soixantaine de municipalités – dont Bagnolet, Truchtersheim, Ajaccio, Roncq, Vourles, Oncourt, Montreuil, Chartres – pensent aussi que cette pratique date d’un autre temps et ne répond pas aux besoins physiologiques et comportementaux des animaux ; elles ont fait le choix d’interdire les cirques avec animaux sur leur sol.

Paris, de son côté, reste sourd à différentes pétitions qui réclament une telle décision.

Nous avons tous, un jour ou l’autre, pu voir ces animaux de cirque, qu’ils soient sauvages ou domestiques, attachés à une chaîne sur un petit lopin de pelouse d’une place publique ou au beau milieu d’un carrefour, sur un parking de supermarché ou sur le bord d’une nationale, symbole de la triste vie des animaux des cirques itinérants, à l’image de cet éléphant aperçu récemment sur une route de Clermont-Ferrand.

Des fauves qui tournent en rond car enfermés dans des cages de 10m2, des éléphants attachés alors que dans la nature ils peuvent parcourir jusqu’à 80 km par jour, des primates habillés comme des poupées, autant d’humiliations et de frustrations pour un « art » d’un autre temps.

Le fait que ces animaux soient nés dans des cirques ne change en rien leur nature première et ne les prédisposent nullement à savoir marcher spontanément sur les pattes de devant… Durant ces spectacles, les animaux montrent des mimiques faciales qui sont des signes de peur, de stress et de menace. S’il est dans l’instinct de tout être vivant de craindre le feu, ce n’est qu’en se faisant violence, et sous la menace du fouet, qu’un tigre ou un lion peut traverser un cerceau en flammes. Forcer un animal à braver le feu, est-ce cela qu’on appelle « l’art du cirque » ?

Un éléphant qui peut peser entre 2 à 6 tonnes n’a ni les pattes ni le dos adaptés pour marcher sur les pattes de derrière. Le forcer à accomplir un tel exercice, est-ce cela qu’on appelle « l’art du cirque » ?

Et présenter au jeune public un « art » mettant en scène des animaux que l’on mène du bout d’un fouet constitue un message déplorable d’un point de vue pédagogique et éthique quand, en parallèle, on leur inculque à ne pas être violents envers les animaux.

Les cirques qui incluent l’animal dans leurs spectacles sont des entreprises à part entière, qui font vivre un certain nombre d’employés, de vétérinaires, de fournisseurs en nourriture végétale et carnée.

Sur cette base économique et entrepreneuriale, les cirques considèrent l’animal non pas comme un être vivant doté de sensibilité et d’émotions aux besoins physiologiques précis, mais comme un produit générant pertes et profits (frais de vétérinaire, nourriture, nombres d’entrées).

Dans ce contexte, l’entreprise-cirque ne se soucie guère du ressenti physique et psychologique de l’animal, obligé d’accomplir une performance que sa morphologie (poids, forme des pattes) ou son psychisme (peur du feu, du bruit, de la foule, de la lumière) ne lui permettent d’accomplir qu’au prix d’une souffrance réelle.

Ce qui faisait rire au XIXe siècle, par méconnaissance de la sentience animale et à une époque où les savanes abritaient félins et éléphants en grand nombre, est devenu scandaleux et attristant au XXIe siècle ; aujourd’hui, on parle de la 6ᵉ extinction de masse des animaux. Il reste à cette heure moins de 4000 tigres vivant dans leur habitat naturel…

Dans ce contexte alarmant, et pour des raisons éthiques, écologiques et politiques, ces spectacles de cirques avec animaux menacés devraient être reconnus hors-la-loi, au même titre que le braconnage pour l’ivoire.

Les arts du cirque sont multiples et ancestraux, ils peuvent être maintenus pourvu qu’on y retire les animaux. Les jongleurs, clowns, magiciens, contorsionnistes, funambules, lanceurs de couteaux, voltigeurs, trapézistes, danseurs, cracheurs de feu continueront d’éblouir petits et grands, sans parler des chorégraphies sur fond de nouvelles technologies qui sont aussi l’avenir du cirque, nul besoin d’ajouter les animaux dans ce décor : l’animal n’est ni un clown ni un contorsionniste acrobate.

Pour aveugler les contrôles, les médias et le public, pour mieux dissimuler la souffrance animale, la compagnie du cirque a recourt à différents tours de passe-passe lexicaux. Elle ne parle plus désormais de « dressage » mais de « formation » ou « d’éducation », plus de « fouet » mais « d’objet de folklore », plus d’« animaux en cage » mais de « sportifs de haut niveau ». Qui est encore dupe de tels stratagèmes lexicaux ?

On ne peut plus accepter aujourd’hui – dans une société qui se dit éthique et soucieuse de la sensibilité animale et qui légifère sur le bien-être animal au niveau européen – que des animaux soient esclavagisés (cirques et delphinariums) ou mis à mort (tauromachie) pour le spectacle d’une poignée d’individus nostalgiques de traditions archaïques (chasse à courre).

La souffrance et la mise à mort publiques d’un animal ne relèvent pas de l’activité artistique mais du sadisme. Sous prétexte que les cirques avec animaux sont des entreprises qui génèrent des emplois, il faudrait maintenir cette pratique antique ?

The ConversationUne économie qui repose sur la maltraitance physique et psychologique des êtres vivants n’a aucun avenir.

Astrid Guillaume, Sémioticienne, maître de conférences (hdr), Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

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