Antidouleurs pour humains: quand chiens et chats jouent aux cobayes

 

Zones cérébrales atteintes, signes de la maladie, réponse aux analgésiques… Les ressemblances sont telles qu’enrôler des chiens ou des chats dans des essais cliniques accélérerait sans doute la mise au point d’antidouleurs plus efficaces, plaide le chercheur de l’Université de Montréal.

L’utilisation de chiens naturellement atteints de tumeurs est déjà en train de faire ses preuves pour mettre au point de nouveaux traitements contre le cancer.

« L’expérimentation animale se fait traditionnellement sur des rats et des souris, alors qu’ils nous ressemblent très peu », affirme le Dr Troncy.

« Prenez l’exemple des douleurs chroniques, elles affectent très majoritairement des femmes après la ménopause, alors que les chercheurs font leurs expérimentations sur de jeunes rats mâles en santé. Ça n’a sans doute pas grande logique. » – Le Dr Éric Troncy

Les molécules efficaces chez les rongeurs le sont donc très rarement chez les humains, dit-il, ce qui rend exceptionnelle la mise en marché de nouveaux médicaments. Le taux de succès est d’à peine 10 % en ce qui concerne les analgésiques.

Les rongeurs sont souvent génétiquement modifiés, reproduits dans le seul but d’aboutir en laboratoire et gardés en captivité pour l’entièreté de leur courte vie.

PLUS DIVERSIFIÉ

Les chiens et les chats ont un bagage génétique beaucoup plus diversifié. Ils partagent le même environnement complexe et changeant que leurs propriétaires. Et sont comme eux naturellement frappés par certaines maladies avec l’âge, explique un article du Dr Troncy publié en septembre dans la revue scientifique Pain.

Les chiens et les chats représentent donc de bien meilleurs modèles que les rongeurs, dit-il, surtout en ce qui concerne les maux complexes comme la douleur, le cancer ou la maladie d’Alzheimer.

« À partir du moment où une molécule fonctionne chez le chien, ce n’est pas dans 10 % des cas, mais dans 85 % des cas qu’elle fonctionne bien chez nous. »

À la fin du mois de novembre, le professeur de l’UdeM s’est joint à une douzaine de scientifiques invités à présenter leurs travaux aux représentants de l’industrie pharmaceutique et aux autorités réglementaires américaines – qui les ont encouragés à publier le tout et leur ont donné à nouveau rendez-vous dans deux ans.

« Ils ont pu voir combien l’évaluation de la douleur sur les animaux avait progressé ces dernières années. Aujourd’hui, on se rapproche beaucoup de ce qui se fait en médecine humaine, c’est beaucoup plus transposable. »

LES CHIENS SUIVIS AVEC UNE PUCE

L’équipe du chercheur a conçu des tests, validés sur plus de 400 chiens et chats atteints d’arthrose ou de cancers douloureux.

Les chiens étudiés sont recrutés dans les journaux et les cliniques vétérinaires et continuent de vivre à la maison. Pour les suivre à distance et enregistrer leur niveau d’activité, les chercheurs installent une puce dans leur collier.

« Quand le traitement fonctionne, l’animal fait de 40 à 50 minutes d’activité de plus par jour, étant plus confortable », rapporte le Dr Troncy.

Lors de visites à la Faculté de médecine vétérinaire, les bêtes passent sur des plaques conçues pour mesurer leurs progrès. Car en guérissant, le chien parvient à mettre graduellement plus de poids sur sa patte, ce qui génère de plus en plus de force.

PLUS DIFFICILE AVEC LES CHATS

Tester des chats s’est révélé plus complexe. « Les chats étant moins sociables que les chiens, on n’était pas capables d’extraire des réponses pouvant indiquer si leur niveau de douleur était diminué, ils demeuraient très méfiants. »

Le chercheur a donc créé une colonie regroupant quelques dizaines de félins, confiés par des refuges. « On les garde plusieurs années, alors ils connaissent le personnel et il y a beaucoup moins d’interférences. »

Les chats marchent parfois sur des tapis roulants miniatures. Pendant l’exercice, les chercheurs observent leur façon de bouger et mesurent l’ouverture de leurs articulations sur des photos prises aux rayons X. « Quand une des hanches du chat est atteinte, tout le cycle de la marche change. »

Ce genre de tests permet de mesurer de façon objective l’amélioration apportée par les traitements.

Les chercheurs ne prélèvent aucun organe sur les chiens ou les chats étudiés et soignent leurs autres maladies, assure le Dr Troncy. La majorité des félins de la colonie sont adoptés par des étudiants de la Faculté de médecine vétérinaire après avoir participé à l’étude.

LUTTE CONTRE LE CANCER

Aux États-Unis, des vétérinaires et des médecins recrutent des chiens depuis déjà 10 ans dans le cadre d’études multicentriques à vaste échelle visant à valider l’utilité de différents composés anticancer. Ils sont regroupés au sein du Canine Comparative Oncology Trials Consortium, financé par les National Institutes of Health (NIH).

En prouvant qu’une nouvelle forme d’immunothérapie prolongeait la vie de chiens atteints d’ostéosarcome, ils ont convaincu la Food and Drug Administration américaine de mettre la mise au point de ce composé sur la voie rapide. « Elle leur a permis de débuter tout de suite des essais chez l’humain, au lieu de passer trois ou quatre ans de plus à tester la toxicité du composé, puisqu’on a déjà regardé son innocuité lors des essais vétérinaires », précise le Dr Troncy.

Le professeur a bon espoir que la formule soit reprise dans son domaine de recherche. Les NIH ont récemment exprimé le désir de réduire de moitié le temps requis pour mettre au point de nouveaux antidouleurs, entre autres en raison de la vague de surdoses causées par les opiacés.

 

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